Jeunesse, Sports: Cultures en stock : 4 rendez-vous sur le territoire

Des baies vitrées recouvertes d’une large bande film dépoli. Une feuille A4 qui indique en cas de fermeture « se rendre directement à l’Hôtel du Département, place Saint-Arnoux », à quelques encablures de là, rue Maurice-Garnier. Maurice-Garnier, comme un nom de code qui résonne au sein du Département. Celui de l’Unité MNA (et adoption), pour mineurs non accompagnés.
Depuis 2017, le Département est chargé de l’accueil des jeunes migrants qui arrivent en France, souvent via nos montagnes du côté de Montgenèvre, après un long voyage. Voyage, un euphémisme pour parler d’un périple au péril de leur vie, qui très souvent ne les laisse pas indemnes, physiquement et psychologiquement.
« La plupart du temps ils souffrent de polytraumatismes. La perte de ses repères familiaux, de sa langue, c’est en soi un trauma. Mais sur la route, ces jeunes sont très souvent confrontés à des vols, viols, passages à tabac… », déroule Elora Roger, évaluatrice MNA. Quand une jeune fille de 15 ans débarque enceinte, on devine vite de quoi son ventre rond est le fruit. Et d’ajouter : « On sait que certains pays de passage sont synonymes d’horreur : geôles où s’entassent plus de quarante personnes, torture… »
Leur Eldorado ? C’est outre-manche qu’il se trouve. Contrairement aux idées reçues, « dans 98 % des cas, ces jeunes ne restent pas dans les Hautes-Alpes », explique Caroline Mioletti, responsable de l’unité. Fin juillet, Élodie Tricon, la secrétaire, enregistrait 1700 jeunes, qui, pour certains, ne restent quelques heures dans les Hautes-Alpes. De quoi « bénéficier d’une prise en charge du Département et leur permettre de faire une étape ».
Entre deux coups de fil qui commencent souvent de la même manière – « Bonjour la police des frontières » – Élodie, gère les urgences qui se font quotidienne, se charge du suivi administratif du dossier de chaque jeune (de l’évaluation de minorité à sa validation ou son refus, en passant par le suivi et l’accompagnement Ase -Aide sociale à l’enfance – des mineurs officiellement reconnus comme tels…). Et produit de la statistiques. « Nous sommes sans doute le service qui en génère le plus », s’accorde l’équipe dont la mission reflète la situation géopolitique du monde, avec quelques mois de décalage.
Traverser des mers sur des embarcations de fortune, des déserts à pied, se faire arrêter sur la route… C’est sûr, ça prend plus de temps qu’un aller-retour en avion pour les vacances. « Je n’arrive même pas à m’imaginer ce que ça peut représenter », confie Elora, l’un des premiers visages que ces jeunes rencontrent en France. Celle qui reçoit leur récit, en compagnie d’un interprète qu’elle mandate si nécessaire. Leur permettre de raconter leur histoire dans la langue où ils se sentent le plus à l’aise. Libérer leur parole de subtilités linguistiques qui pourraient être mal comprises.
Majeur ? Mineur ? Si le verdict final est collégial, c’est sur son évaluation qu’il s’appuie en grande partie. En balance ? La Capacité d’accueil de la France d’un côté. Le devoir d’humanité de l’autre. Une « dissonance cognitive » avec laquelle Elora doit composer, principe de réalité oblige.
En attendant le résultat, le Département se doit mettre à l’abri ces jeunes migrants.
S’il aboutit à une reconnaissance de minorité, le jeune est envoyé dans une structure de l’Ase, dédiée aux MNA. Dans les Hautes-Alpes ou ailleurs en France, selon une clé de répartition nationale. En cas de majorité, fin de l’histoire. Sauf si le juge des enfants contrevient à cette décision et conclut à la minorité.
Tu ne peux pas oublier les personnes qui t’ont aidé quand tu étais dans la difficulté”
Ibrahima, MNA
Les mineurs restant dans nos montagnes (88 actuellement, dont 23 jeunes majeurs), rejoignent alors l’une des 3 Maisons de l’enfance à caractère social (Mecs) estampillées MNA. Une à Briançon, deux à Gap. Là, Laetitia Michel, référente éducative MNA, prend le relais : liens avec les Mecs, les jeunes, leurs patrons d’apprentissage*.
Elle connaît chaque MNA. Leur histoire aussi, enfin s’ils décident de la partager avec elle. Elle ne force rien mais reste toujours à l’écoute. C’est aussi elle qui les accompagne dans leurs démarches consulaires pour avoir de vrais papiers. Une fois leur passeport arrivé de Guinée, Côte d’Ivoire, Cameroun…, un nouveau parcours du combattant commence. Celui du titre de séjour et de l’accès aux dispositifs de droit commun.
Soudain, on sonne à l’interphone de Maurice-Garnier. Il n’est pas rare que les MNA en poussent la porte, pour venir faire un coucou à celles qui « resteront gravées dans leur cœur et leur tête. Parce que tu ne peux pas oublier les personnes qui t’ont aidé quand tu étais dans la difficulté », confie Ibrahima, le sourire de la reconnaissance sur les lèvres.
*En hausse depuis la fin des sorties sèches des dispositifs Ase.
**Entrer dans la vie active, devenir autonomes et s’intégrer, « privent certains jeunes d’études supérieures ».
Stéphanie Cachinero