« Ils nous le font rimer ; ils nous le font rimer ! » Quand Joséphine Boudouard raconte ce souvenir à Charles Joisten, en juillet 1958, elle a 75 ans. Ils sont à Théus.
Charles est en train d’enquêter (voir encadré) sur une tradition qui semble s’être éteinte sous le joug des armes de la Première guerre mondiale. Les feux de Noël. Autour de nous, personne n’ayant jamais eu vent d’une telle pratique le 24 décembre. Au fil de témoignages recueillis par Charles, ils reprennent vie. D’abord du côté d’Espinasses, de Remollon, Rochebrune, Théus, la Vallée de l’Avance… Puis vers Aspres-sur-Buëch, Saint-Pierre-d’Argençon et Aspremont.
Mémoires d’anciens
C’est ce que nous révèlent une dizaine de souvenirs récoltés entre 1957 et 1958 puis compilés dans le Monde alpin et rhodanien. Mémoire d’anciens conservée : Joseph Casimir Allard (81 ans Espinasses), Joseph Barthélémy (57 ans Théus), Louis Michel (88 ans Remollon), Augustin Vial (88 ans, Aspres-sur-Buëch), Élise Mancip (79 ans, Saint-Pierre-d’Argençon).
Et tous relatent peu ou prou la même chose, leurs jeunes années, celles passées près de ces feux de joie, avec leurs amis, juste avant d’aller à la messe de Noël.
En gros, en journée, les ados du village faisaient le tour des maisons pour demander quelques fagots de bois et autres sarments de vignes (parce que oui, les vignes reviennent souvent dans ces récits). Et en général, les gens donnaient, se rappelant sans doute que des années plus tôt, c’étaient eux qui venaient frapper à la porte des chaumières.
Ceux qui se refusaient à jouer le jeu payaient souvent le tribut de facétieuses représailles : se faire détrousser de plus que s’ils n’avaient donné.
Les jeunes plus forts allaient, eux, couper du bois : du chêne, du chêne vert… Certains se chargeaient de ramener de nouveaux sarments glanés dans les vignes, d’autres ciblaient davantage « les buissons et genêts ».
Toute la récolte était ensuite réunie afin de former un imposant bûcher. Soit sur le gravier le long de la Durance, ou aux abords du torrent du Pape pour ce qui est de Rochebrune. À Espinasses, c’est sur les hauteurs que cela se passait, près du lieu-dit La Croix. Bûcher qui sera allumé après le repas du réveillon mais avant d’aller à la messe. Et histoire qu’aucun adulte vienne leur jouer le mauvais tour d’y mettre le feu en leur absence, des petites vigies se relayaient pour assurer l’intégrité de leur futur brasier. Mais ils arrivaient tout de même que des adultes aillent au bout de leur malice. Des vignerons qui revenaient du travail, suppute Joséphine Boudouard de Théus (village où cette coutume était encore vivace aux prémices de la seconde guerre mondiale).
En ronde autour du bûcher
Dans tous les cas, les flammes finissaient par jaillir et alors les jeunes et parfois aussi d’autres gens du village se retrouvaient autour d’elles, dansaient en se tenant par la main, en une ronde joyeuse. Puis quand le feu devenait moribond, les plus téméraires se défiaient en sautant par-dessus les braises encore incandescentes.
Il se pourrait que cette coutume trouve son origine dans la religion, faisant référence « au feu allumé par les bergers lors de la naissance du Christ ». Une interprétation que l’on retrouve, d’après Charles Joisten, également dans le Champsaur, mais à l’occasion des feux de Carnaval et du Carême.
Si le soir de Noël vous apercevez des feux scintillant dans la montagne, peut-être s’agira-t-il de la survivance de cette tradition que l’on croyait éteinte.
De témoignages en témoignes, le passé revit
Elle trône dans les rayonnages des Archives départementales des Hautes-Alpes. L’enquête de Charles Joisten, ethnologue est folkloriste, grenoblois de naissance : Les feux de Noël dans les Hautes-Alpes, publiée en 1973 dans la revue Le Monde alpin et rhodanien.
Sa méthode ? Confronter les dires de Dieudonné Dergny, auteur d’Usages et croyances, datant de 1888. Il y parle de bergers qui se réunissent avant la messe de minuit pour allumer sur la place publique un feu de joie. Y sont cités Espinasses, Remollon, Rochebrune, Théus, la Vallée de la Vance… Charles s’est mis à arpenter ce terrain entre 1957 et 1958. De témoignage en témoignage, les feux des Noël ont refait surface dans ces contrées. Pour également scintiller du côté d’Aspres-sur-Buëch, Saint-Pierre-d’Argençon et Aspremont. Une enquête à consulter sans modération aux Archives
Stéphanie Cachinero