Voyage dans les tréfonds du gouffre des Aiguilles
C'est un voyage au plus profond des Hautes-Alpes que nous partagent les Archives départementales au travers de documents qui ont récemment rejoint le temple de notre patrimoine écrit. À vos casques et autres lampes frontales, direction les tréfonds du chourum des Aiguilles.


«Une roche instable qui se délite très facilement et rend de nombreux passages délicats et dangereux. Le chourum des Aiguilles est le plus ‘‘pourri’’ que nous ayons exploré. » D'après les documents remis aux Archives départementales par le Comité départemental de spéléologie et canyon des Hautes-Alpes, il y a tout juste quelques mois, descendre dans les entrailles du troisième gouffre le plus profond du monde (980 mètres) n'est pas une sinécure.
Plus qu'un fonds documentaire portant les dates de 1968, 1969, 1973 ou encore 1974, c'est toute une partie de notre patrimoine souterrain qui traversera les siècles bien à l'abri dans les boîtes de conservation des Archives. De quoi nous permettre de revivre au moyen de feuilles dactylographiées, de croquis à main levée ou encore d'une liste de fournitures, le tout légèrement terni par le temps, une aventure extraordinaire qui donne envie d'en savoir davantage.
Tout commence en 1963, sur les hauteurs, du côté du col de Festre. Un berger repère l'entrée du chourum des Aiguilles. Dès 1964, des spéléologues vont y jeter un œil mais se retrouvent stoppés à seulement 100 m. Les étés suivants, le spélo club de Gap, avec le soutien de clubs voisins, progresse d'année en année pour finalement atteindre les 510 m de fond en 1967. 1968, « météo exécrable », « gouffre en crue », - 620 m.
1969. Les spéléo tentent de nouveau leur chance. Le chourum ne se révèle pas si étroit. « Il n'est pas non plus ce que l'on peut appeler une autoroute », soulignent toutefois les textes qui précisent également que « le portage du matériel n'est pas aisé ». Il n'empêche qu'en cet été 1969, les équipes ont « la ferme intention d'atteindre le fond ».
Une volonté de fer conjuguée à la passion qui motive les troupes au point de passer plusieurs week-ends, début juin 1969, à « équiper le gouffre ». Le dimanche 6 juillet, une équipe « s'est fait coincer à la cote 370, entre les puits de la Trompette et les puits Gaulois », peut-on lire dans le dossier. Pas de quoi freiner l'exploration. Il en faut visiblement davantage pour faire renoncer les aventuriers souterrains. Résultat, le 3 août, « un camp était installé dans le vallon des Aiguilles et nous avions deux semaines pour terminer l'exploration du chourum ». Tictac, tictac. Mi-août, levée du camp.
Exploration considérée comme terminée
« L'exploration du chourum des Aiguilles peut être considérée comme terminée. » L'intuition d'une « jonction avec d'autres zones en l'occurrence, l'exsurgence des Gillardes [..] située à 11km [..], retombe dans le domaine du rêve », se désole l'auteur de « l'intercalaire N°1 », portant « description » du chourum. Un autre document de 1974 nous indique qu'une expérience réalisée en 1974 confirme l'hypothèse de la connexion avec les Gillardes. Le fonds des Archives s'arrête là.
Quelques investigations nous ont permis de savoir que les spéléologues ont poursuivi leurs recherches, notamment des Toulonnais secondés de Savoyards, en 1972, « pour explorer un amont situé à la côte -205 m ». C'est d'ailleurs cette même année que le chourum monte sur la troisième marche du podium des gouffres les plus profonds du monde. Suivront des expéditions en 1974, puis 1978. En 1998, le spéléo club alpin renoue avec les Aiguilles et, une nouvelle fois, les descriptions valent leur pesant d'or. Nous sommes à -500 m au sommet du puits de la Déception, où « le fond est copieusement arrosé ». La progression est difficile, au point que l'un des spéléologues « balance son appareil » photo au fond « avec le calme reconnu du capitaine Haddock qui ne trouve pas sa bouteille de whisky », le tout « accompagné de jurons du meilleur cru ». Son partenaire a, de son côté, « une idée très précise de la galère dans laquelle [il] s'engage ». Combinaison néoprène, plongeon en apnée, boyaux d'une étroitesse que l'esprit a du mal à concevoir, visibilité nulle.
Aujourd'hui, le gouffre des Aiguilles a dévoilé la majorité de ses secrets. Jusqu'à de nouvelles découvertes qui finiront, peut-être elles aussi, leurs jours aux Archives départementales. Ces dernières vous donneront, d'ici quelques semaines, accès à leurs documents « spéléologiques » sur leur site. Quatre boites au total, dont trois consacrées au Dévoluy.